Delphine BENDA
Résumé
Ce projet de thèse vise à étudier le métier politique à travers la littérature et de voir quels apports ce matériau spécifique, l’oeuvre littéraire, est susceptible d'apporter à la connaissance. Il repose sur deux convictions. La première est que la fiction littéraire peut permettre de mieux comprendre les tenants et aboutissants du métier politique et de ses évolutions. La seconde est que les agents sociaux ordinaires ont des chances de se représenter la politique à partir de médiations très divers et hétérogènes, pas seulement les Journaux télévisés ou « ce qui circule » sur les réseaux sociaux, mais aussi via des séries, films ou, ici, romans et pièces de théâtre.
Si le corpus d'oeuvres et les bornes chronologiques ne sont pas encore définitivement arrêtées, il est envisagé de :
- s'intéresser au XIXe et au XXe siècle qui couvrent la naissance du roman moderne et l'avènement de la démocratie et correspond à une période de grandes transformations de la pratique politique des représentants (atténuation du rôle des notables, professionnalisation, encadrement partisan, présence des journalistes et autres reporters, etc.) ;
- de faire un choix forcément circonscrit d'auteurs et d'oeuvres, principalement romans et pièces de théâtre, parmi lesquels figureront Gustave Flaubert, Emile Zola, Jules Verne, Octave Mirbeau, Jules Romains, Albert Camus, Marcel Pagnol, Georges Simenon, l’un des enjeux étant de saisir les traits de cette fictionnalisation du métier politique selon que l’auteur est classé dans la littérature dite légitime ou populaire.
Ce projet se propose d’analyser le regard de la littérature sur le métier politique, soit les manières dont les écrivains définissent, mettent en scène ledit métier politique et perçoivent les transformations qu’il a connues, en cette période d’installation progressive de la République et d’affirmation de la démocratie. Il vise à montrer comment la littérature permet à la fois d’approcher les acteurs en insistant sur la dialectique individu/collectif (solitude de l’homme politique, importance de l’entourage, etc.) et les processus en mettant en avant les interactions propres au métier politique (alliances, séduction, enrôlement des électeurs, etc.). Cette logique sur laquelle les écrivains insistent montre les marges de manoeuvre bien relatives de l’homme politique qui « subit » plus qu’il « n’agit », même s’il tente de faire accroire l’inverse, en particulier en s’inscrivant dans sa communauté d’appartenance et un territoire. Il permettra aussi d’attester la dimension émotionnelle et symbolique du métier politique, mise en avant de façon récente par la recherche mais au coeur des représentation que se font les écrivains de la politique. Ils mettent en scène aussi la fragilité de l’homme politique loin d’être stylisé en démiurge.
Le projet s'attachera aussi à dégager le cadre de référence implicite des écrivains et le rôle dont on peut présager qu’il n’est pas sans effet sur les lecteurs, et, ce faisant, sur les citoyens-électeurs. Il permettra de dégager une forme de « pensée politique » implicite de ces auteurs lorsqu’ils nous représentent le métier politique et, au-delà, sur la démocratie. Il sera notamment l'occasion de mettre en avant les « doutes » initiaux exprimés par certains écrivains de la fin du XIXe siècle sur l'idéal démocratique, loin de l’imagerie officielle incarnée par Hugo, monument littéraire et figure tutélaire de la République. En somme, beaucoup d’écrivains en fictionnalisant le métier politique nous montrent qu’ils n’ont jamais vraiment cru à l’idéal démocratique. Ils préfèrent souvent mettre en scène un désenchantement.
Notre travail permettra aussi de montrer autrement le rôle des oeuvres littéraires dans la « normalisation » du métier politique, voire dans la « perte de noblesse » du métier politique. En définitive, les écrivains contribuent à construire une image dévalorisée et dévalorisante du métier politique qui est toujours compromis de près ou de loin dans les affaires interlopes, « les dessous de la politique », les « tripotes qui se mijotent en coulisses ». Tout donne à penser que les écrivains apparaissent, plus ou moins en creux, à contre-emploi, comme les derniers remparts d’une moralité en politique.